Les secrets de la découverte de « Kyo no Koto », la Levure Kyoto
Entretien avec Nobuo Tsutsui OB de l’ Institut Municipal de Technologie et de Culture de Kyoto
En juillet 1956, le gouvernement japonais déclarait dans le livre blanc de l’économie : « Nous ne sommes plus en période d’après-guerre ». En mars 1966, en pleine période de forte croissance économique, le monde s’enthousiasmait d’apprendre que l’exposition universelle aurait lieu pour la première fois au Japon, à Osaka. La population japonaise comptait déjà plus de 100 millions d’habitants et le taux de croissance économique du Japon avait atteint 11,8%. C’est en décembre 1966, dans une telle période d’effervescence économique, que suite à la fusion de divers organismes concernés, le laboratoire de recherche sur les industries de la ville de Kyoto a vu le jour dans l’arrondissement sud de Kyoto. C’est un organisme de recherche public qui s’occupe non seulement de l’industrie traditionnelle de la porcelaine et de la laque par exemple qui sont les industries propres à Kyoto et de l’industrie mécanique et sidérurgique, mais aussi des essais, des études et des techniques de brassage.
Monsieur Nobuo Tsutsui qui fut chercheur durant 40 ans à l’ancien laboratoire de recherche sur les industries de la ville de Kyoto, se retourne vers le passé. Il est entré en novembre 1973, dans la section de recherche sur le brassage du saké dudit laboratoire. Il s’occupait de la distribution et de la commercialisation de la levure durant le semestre allant de septembre à mars et s’employait le reste du temps à la recherche sur le brassage. A cette époque, le milieu professionnel connaissait une activité intense et on comptait plus de 50 caves à Kyoto. Il existait alors 2 sortes de levures, les no 1 et no 2 issues respectivement des souches des kyokai no 6 et no 7. « On fabriquait les levures à distribuer aux brasseurs, et on était absolument débordé durant six mois de l’année. » se souvient monsieur Tsutsui. Selon les archives, le laboratoire allait parfois jusqu’à distribuer 3 000 à 4 000 bouteilles de levure de 3 dl en un mois, mais il en vendait environ 12 000 par an. A cette époque, on pensait qu’il était mieux de fabriquer de manière soutenue et en grande quantité le saké de table comme le « Josen » par exemple. « Les levures no 1 et no 2 permettaient une fermentation stable et par conséquent étaient faciles à utiliser » affirme monsieur Tsutsui. On peut dire que c’était une levure qui répondait aux besoins de l’époque.
D’après les souvenirs de monsieur Tsutsui, la demande en levure à Kyoto a atteint son apogée en 1978 puis la situation a beaucoup changé. Juste à ce moment-là, le saké Ginjo a fait succès. Pour survivre, les petites et moyennes entreprises de brassage ont changé leur gamme de produits et se sont mises à fabriquer un saké spécifique qui avait l’arôme suave du Ginjo. Les brasseurs de Kyoto eux non plus n’ont pas dérogé à la règle en réclamant tour à tour « une levure parfumée ».
A partir de 1989, monsieur Tsutsui s’est occupé du travail de la levure avant de devenir directeur de recherche en 2005. Au début, il s’est efforcé de répondre aux besoins des brasseurs qui « voulaient que nous leur fabriquions une levure leur permettant de gagner le premier prix dans les concours de sakés » mais monsieur Tsutsui ne trouvait pas cette demande très justifiée. Il s’est dit : « je voudrais plutôt fabriquer une levure pour le Ginjo que n’importe qui pourrait boire et apprécier ». C’est ainsi qu’est née la toute nouvelle levure no 221 qui venait d’être isolée.
A l’époque, il n’existait pas encore au laboratoire de recherche sur les industries de la ville de Kyoto, un permis de brasser qui aurait permis de faire des tests de brassage. Dans les essais, l’éthyle caproate avait une qualité significativement différente et produisait une levure richement parfumée. Mais sans pouvoir procéder aux essais de fermentation même à petite échelle, on ignorait si cette levure était réellement utile. Si le laboratoire échouait, il faisait courir le même risque aux brasseurs et les entraînait dans son échec.
Monsieur Tsutsui était bien embarrassé mais il prit l’initiative de demander un test de brassage à la brasserie Sasaki Shuzo de Kyoto. Le propriétaire de l’époque qui s’appelait Katsuya Sasaki accepta d’emblée en disant : « Nous ne sommes qu’une petite cave mais ce test revêt une grande importance ». Monsieur Tsuitsui s’en trouva fort soulagé mais en même temps, il était extrèmement impatient de savoir si la nouvelle levure qu’il venait d’isoler pouvait réellement produire du saké.
L’expérience dans la brasserie Sasaki Shuzo se révéla positive et monsieur Tsusui donna à sa levure no 221, le nom de « Kyo no Koto ». Le mot « koto », signifiant pour lui qu’ « à l’instar d’un koto qui rend toutes sortes de sonorités, les caves peuvent créer toutes sortes de sakés ».
En mettant au point la levure d’excellence « Kyo no Koto », monsieur Tsutsui avait réussi. « L’essentiel est pour moi que cette découverte fasse le bonheur de tous. Depuis que je suis fonctionnaire, j’ai réussi à contribuer à la société » raconte-t-il. Ses idées et ses résultats iront à la postérité et nourrirons définitivement le travail de ses successeurs.
(texte : Ayuko Yamaguchi)